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mardi 7 février 2017

Jacob et Esav, frères ennemis et pourtant…

JACOB ET ESAÜ, frères ennemis… (première partie 1/2)
Par Dominique Blumenstihl-Roth


Il y a quelques jours, le président américain Donald Trump a annoncé qu'il ferait délocaliser l'ambassade  des USA qui se trouve à Tel Aviv et de l'installer à Jérusalem. C'est un acte symbolique qui montre qu'Esau (l'Occident) se porte au secours de Jacob (Israël). Il n'en a pas toujours été ainsi… Car Esaü est, dans la Torah, l'ennemi mortel de son frère, qu'il menace et pousse à l'exil.

À ce propos, j'ai trouvé un texte passionnant de notre amie Liliane Servier, spécialiste de l'hébreu, résidant à Tel Aviv. Née en Egypte, c'est une éminente professeure et traductrice qui a aidé Dominique Aubier dans ses recherches sur les mots hébreux dont c'était la langue maternelle. Liliane Servier est venue souvent nous rendre visite et elle a écrit un beau texte sur la dualité entre ESAU et JACOB.
Je le reproduis ici, car il mérite toute notre attention. Et j'entame avec elle un dialogue, car il m'a semblé que quelques erreurs de compréhension s'étaient glissées dans l'approche de Liliane. J'ai apporté un correctif pour que nous puissions bénéficier des deux points de vue, l'un complétant l'autre, dans un échange positif, partagé entre tous.



ESAU ET JACOB 
Le texte en caractère droit est de Liliane Servier. Ethnologue et spécialiste de l'hébreu.
En italiques : nos commentaires apportant quelques précisions.


« Rebecca devint enceinte. Or, les enfants se heurtaient en elle… Elle alla donc consulter YHVH qui lui répondit :
— Il y a deux nations en ton sein,
Deux peuples issus de toise sépareront,
Un peuple dominera un peuple,
L'aîné servira le cadet ».
(Genèse 25, 21-23)

Chez tous les peuples de l'Antiquité et de nos jours encore, dans les sociétés traditionnelles, la naissance de jumeaux est un événement lourd de conséquences, souvent générateur de conflits, car comme l'a dit Marcel Griaule, spécialiste des cultures africaines, « la gémellité conditionne toute vie humaine ». Ainsi, tout nouveau-né reçoit une âme double, pour les hébreux nephesch et rouah.

En réalité, précise Dominique Aubier, la gémellité présente surtout l'aspet duel de l'être, avec les deux hémisphères cérébraux projetant sur le corps leurs émanations nerveuses latéralisant la personne. Nous sommes tous, pour nous-mêmes, les demeures de deux jumeaux intérieurs, dont l'un "sait" et l'autre "fait", Jacob et Esaü étant les locataires respectifs des hémisphères "qui-sait" et "qui-fait". Ainsi, la gémellité conditionne toute vie humaine, chacun de nous reçoit en dotation initiale une structure investie de sa Gauche et de sa Droite. En hébreu : Smol et Yamin. Ne pas confondre avec Nefesch et Rouah.
Smol et Yamin sont des éléments de structure. Tandis que Nefesch et Rouah sont des effets du Système et de l'énergie.
De nombreux chercheurs, kabbalistes, amateurs ou même spécialistes de recherches hébraïques commettent la confusion et croient que la dichotomie structurelle ressortirait du Nefesch et du Rouah. Il faut rétablir les choses dans leur ordre. Gauche et Droite : ce sont les jumeaux structurels. Nefesch et Rouah sont les insufflations de l'énergie, au travers du système quand il pénètre la structure.


Je consacrerai une étude particulière sur Nefesch, Rouah, Neschama, Haya, Yehida qui sont les 5 stades progressifs par lesquels transitent ce que le Zohar appelle les âmes. Je m'appuierai sur les travaux de Dominique Aubier, qui en a fait une lecture précise dans son livre Le Pouvoir de la Rose.
Dans l'immédiat, je reviens au texte de Liliane Servier consacré à ESAU et JACOB. Mais d'emblée, en aucun cas, je ne pourrais dire que l'un serait Nefesch et l'autre Rouah. Ils sont d'une part : Jacob = l'hémisphère "Qui Sait" en partenariat d'opposite d'autre part : ESAU l'hémisphère "QUI FAIT".


« Alors  Dieu modela Adam avec la glaise du sol ("adama", de la racine dam = sang), il insuffla dans ses narines une haleine (rouach) de vie et Adam devint une âme (nephesch) vivante. » (Gen. 2, 7).
Nous allons voir comment Jacob et Esaü personnifie cette dichotomie de l'âme et de quelle manière chacun d'eux la vivra. 

Là aussi, je dois répéter : Rouakh et Nefesch ne participent pas de la dichotomie, mais de la suite progressive de l'évolution de l'âme. La dichotomie est la conséquence de la structure duelle. C'est donc sous l'aspect Doite et Gauche qu'il convient de regarder la dualité Jacob - Esaü.

En France, l'ancienne jurisprudence s'inspirant sans doute d'antiques traditions, tranchait la question de primogéniture au profit de celui des deux jumeaux qui était venu au monde le second, le considérant comme le premier conçu. À l'heure actuelle, le droit de primogéniture revient au premier-né.
Dans le cas d'Ésaü et de Jacob, l'ambiguïté sera résolue grâce à l'intervertissement des deux lettres dans des mots qui peuvent sembler identiques. En effet, en hébreu, la primogéniture se dit "Béchora" : Beth, Caph, Resch, Hé ; tandis que la bénédiction du père qui consacre le droit d'aînesse se dit "béracha" : Beth, Resch, Caph, Hé.

Le Caf est la main qui prend et retient, la vie par opposition à la mort. Elle est représentée par l'arcane XI du Tarot, la Force : réceptivité de celui à qui le Moi adresse la Parole.
Le Resch est la bouche ouverte, la parole, le mouvement. C'est l'arcane XX : résurrection ou Jugement qui vise plus particulièrement la tête de l'homme et apporte le changement en bien grâce à l'énergie. 

Sans avoir recours aux Tarots qui sont des images symboliques représentant les archétypes, le kabbaliste ira droit sur les lettres hébraïques écrivant les mots et constatera
l'inversion de l'ordre des lettres Caph et Resch.

Dans le premier cas, la structure Beth s'ouvre sur une dualité en Caph à droite, monte vers le Resch à droite de la structure duelle. C'est-à-dire que la primogéniture Béchora est issue d'un processus où le Caph s'interpose et conditionne la suite.
Dans le second cas, celui de la bénédiction du père, la liaison entre la structure Beth et Resch (le cerveau) est directe, elle est donnée d'emblée et agira sur le Caf et sur la dualité. 

ESAÜ
Esaü, à sa naissance, tenait déjà la vie et disposait de la parole. Quand Isaac bénira Jacob, la parole, souffle de vie, tombera dans la main qui retient, donnant une nouvelle impulsion à l'existence du cadet ayant supplanté l'aîné.
À sa naissance, Esaü reçut trois noms, préfiguration de sa destinée. « Le premier sortit, il était roux (admoni), comme un manteau de poils ("aderet se'ar") ; on l'appela Esaü ('Essav du verbe 'assa, c'est-à-dire un homme fait) » (Gen. 25. 25).

Le roux est la couleur du Messie ; le seul autre "admoni" de la Bible est David, dont les six aînés seront réfutés (I Sam. 16 - 12) alors qu'il reçoit l'onction, la conservant durant toute sa vie et même au-delà, puisque David est le symbole du Messie et que de sa lignée doit sortir le "Nouveau Messie". Raison pour laquelle les théologiens ont estimé que Jésus était roux. 

Précisons que dans la tradition juive, il existe deux messies : le messie-fils-de-Joseph et le messie-fils-de-David. Redoublement oblige, le même thème sera traité en deux instances par deux serviteurs différents, chacun ayant ses prérogatives. Le "Messie fils de Joseph" est une phase visionnaire (du héros biblique sujet à des visions) suivie plus tard de la phase dite "fils de David" , un nom qui signifie qu’il serait lisible dans les deux sens. Il y aurait une porte à droite et une porte à gauche, comme l’indiquait le d (Dalet) au commencement et à la fin du nom. Entre les deux, la situation serait celle d’un Vav, certifiant que le cycle était à son comble. Le stade de "David" suppose que Gauche et Droite soient visible dans la structure évolutive : Connaissance et sciences unifiées.
 Dominique Aubier précise que « les initiés hébraïques ont prévu que le messie fils de David se présenterait dans la réalité du  processus  civilisateur  au moment - clé où les deux images de gauche et de droite n’en feraient qu’une, dans l’immensité de son cerveau culturel. C’est  l’idée qui a été élue dans le prénom du Roi. David s’écrit Dalet, Vav, Dalet. Ce nom est lisible dans les deux sens. 
L’analyse de ses éléments scripturaires montre que la mesure  intégrale d’un cycle (Vav = 6) se trouve coincée entre deux portes (Dalet = 4 du début et Dalet de la fin = 4) qui ouvrent dans le même sens. » 
 ד ו ד

L’énergie Yod (10) fait entendre sa présence dans le i sous-entendu qui phonétise la deuxième syllabe. La lecture kabbalistique qui vient d’être réalisée répond à ce principe méthodologique. 
"Aderet se'ar" ou "se'ir" est le manteau de pourpre symbolisant le dignité du messie. Esaü est donc l'Homme qui prendra ses noms successifs à l'opposé de la direction messianique. Il perdra son manteau de pourpre à cause de ses mains ensanglantées de chasseur et renoncera comme par jeu, à son droit d'aînesse, à la bénédiction, pour manger du rouge (adom, racine dam, le sang) : "… nourris-moi, je te prie de ce rouge, de ce rouge-là… " (Gen. 25-30). C'est là qu'il prendra le nom d'Edom : le rouge, l'ensanglanté, renonçant à sa mission d'Admoni, de Messie. 
Esaü préfère les "choses". Il initie en cela une façon de vivre conditionnant certains choix vitaux qui font autorité : la prépondérance du "faire", de l'argent, de la productivité, de la compétitivité. Termes forts appréciés de nos politiques qui ne jurent que par des critères dont Esaü est le héros biblique. La question est de savoir si sa manière de concevoir le monde mène au bonheur. 

"Jacob envoya devant lui des messagers de son frère Esaü, au pays de Séir, la steppe d'Edom" (Gen. 32. 4). Ainsi Edom s'établit dans la montagne de séir, Esaü, c'est Edom" (Gen 36. 8).
Nous retrouvons les trois noms du berceau, mais en sens inverse. Séir, au lieu de devenir la montagne de Dieu deviendra la montagne du Diable, car Esaü prit ses femmes parmi les filles de Canaan (Gen. 36. 2), engendrant des bâtards ; il s'est placé de l'autre côté de la morale. Son fils Eliphas engendrera Amaleq, l'incarnation du Mal et ennemi d'Israël. Séir deviendra synonyme de bouc : les Séirim se conduisent comme des boucs, ces boucs que l'on envoie au Diable tous les ans. 

Observer un instant la démarche d'Esaü en nous gardant de tout jugement moral. Nous n'avons pas à le juger, mais à le comprendre. Considérons son attitude et ses actes au regard de l'archétype dont il est le représentant. Esaü est l'incarnation du "Qui-fait", il inverse donc les informations. Avec lui, nous sommes constamment en présence de l'inversion : au lieu de ceci, il fit cela. Esaü est le héros du "Ma", il est le représentant de cette entité que combattra Don Quichotte : le Géant Caraculiambro dont le chevalier devra couper la tête. Le fait qu'Esaü ait pris des femmes en Canaan, c'est-à-dire en dehors du fief strictement hébraïque est symptomatique. La tradition veut en effet que l'enceinte communautaire soit respectée et les mariages "exogamiques" sont proscrits, mais il existe de nombreuses exceptions à cette règle générale. En effet, si la règle commune s'impose pour les pieux israélites, il n'existe pas moins l'archétype de l'Union des Contraires dont certains héros bibliques ont parfaitement interprété le sens. Le judaïsme maintient la règle générale et cependant, prévoit l'union avec l'extérieur, et le cas de Moïse uni à Tsipora n'en est pas le moindre exemple. Le cas d'Esther unie à Ashverosh dont elle eut un fils est un autre cas d'union théoriquement illicite, mais qui préfigure la nécessaire union des opposites "Connaissance et science"  d'où devra jaillir le messianisme explicatif de ce qui jusque là était représenté par symboles.
Donc : laissons tomber le jugement moral. Car s'il existe des  prétendus "bâtards" issus des unions qui paraitraient "condamnables" à première vue, il est clair selon la Tradition que le Messie sera le fils d'une de ces unions illicites, procédant de la rencontre des Opposites. C'est de la rencontre exogamique avec l'Autre que naissent les temps nouveaux.

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La suite de l'article sur Esaü et Jacob dans un prochain Blog. Je demande à ceux qui utilisent mes textes de citer leurs sources.
Je remercie ceux qui m'aident à maintenir le blog et qui m'apportent leur Mécénat. Soutenir l'œuvre de Dominique Aubier. Soutenir les forces de l'Esprit. 

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— Les unions illicites dans la Bible : sujet traité dans Esther la Délivrance d'Israël
— L'archétype Union des Contraires : dans La Face cachée du Cerveau
— Sur le messianisme et les deux étapes : dans le livre Don Quichotte le prodigieux secours et le film : le messianisme.








3 commentaires:

Anonyme a dit…

Très clair, l'exposé sur Esaü et Jacob.
L'Occident ésaïque qui-fait ( donc de Droite) des nations où chaque jour se prolonge en ténèbres la lumière du soleil (symbolisme fort).
L'Orient jacobique qui-sait (donc de Gauche) du petit pays élu, qui sort de l'obscurité chaque matin pour aller vers le même soleil.
Curieux des commentaires qui vont venir.

PS : l'union des opposites : le vivant végétal ou animal n'existe que de cette façon sexuée.

François-Marie Michaut a dit…

Frères ennemis, dites-vous ?
Comment ne pas penser à un duo comique de très haute qualité du temps passé ?
Pour plus de détail : https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Fr%C3%A8res_ennemis
Et ne pas rater les citations humoristiques en bas de page, finalement hautement kabbalistiques. Quelle fécondité que cette union des opposites !

Anonyme a dit…

Autour de moi je vois plein d'Esahu qui ne pensent qu'à faire ceci ou cela.
Les Jacobs, ils sont pas vraiment visibles. Y en a plus, on les a tués ou ils sont devenus muets ces êtres branchés sur la connaissance.