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jeudi 12 janvier 2017

Vaincre son Allié. Entretien de Dominique Aubier avec une personnalité politique. 4/5

Connaître et maitriser son Allié (4/5)
Suite de la conversation enregistrée à Carboneras, Andalousie, en 1991. Entre Dominique Aubier et Manuel F. I. Ancien ambassadeur d'Espagne au Royaume uni et Ministre du Tourisme et de l'Information. Président de la Région de Galicia (Espagne), Sénateur jusqu'en 2010.

— Témoignage : un Allié vaincu
— Carlos Castaneda et l'Allié
— Reconnaître l'Allié à temps
— Les conseils de l'Allié

"Le diable pénètre en nous par la porte de l'Allié. Le jour où l'on veut battre Satan, le premier opposant que l'on rencontre, c'est l'Allié lui-même" (citation de Dominique Aubier).

7 Témoignage : un Allié vaincu
Dominique Aubier : 
—Moi, je n'ai jamais cru en votre prétendu "antisémitisme". C'est une accusation que les sots entretiennent, car ils n'ont pas regardé de près. C'est tout de même vous qui avez fait abroger le décret d'expulsion de Juifs, le fameux décret d'Alhambra qui sévissait officiellement depuis 1492 ! Ils n'ont pas compris le fossé qui sépare le discours obligatoire dans la rhétorique franquiste de l'époque et la réalité de vos actes.
— C'est vous, Señora, qui m'aviez parlé du Décret. Moi je croyais que tout cela était oublié et réglé depuis longtemps.
 — C'est en travaillant sur Don Quichotte, lors de mes recherches dans les archives que j'ai découvert que ce texte était encore officiellement applicable… Alors je vous l'ai dit. Et vous avez fait le nécessaire. Faire abroger le décret d'expulsion des Juifs…


M. F. I. : — C'était à l'époque de Franco. J'étais alors ambassadeur au Royaume - Uni et des amis qui me voulaient du bien… comment vous dire… j'avais beaucoup "d'amis qui me voulaient beaucoup trop de bien…"
Ils m'accusaient de favoriser certaines… Comment vous dire… des exfiltrations. Je ne peux pas le leur reprocher puisque c'était vrai. C'est bien évidemment remonté jusqu'à Franco. Il était au courant de tout. Cela s'est passé dans son bureau. Le Caudillo m'avait convoqué sous bonne escorte et il voulait savoir personnellement ce qu'il en était. Nous étions seul à seul, dans son petit bureau. Il était debout, furieux. Il était petit de taille, vous savez… Il ne m'a posé qu'une seule question. Est-ce que oui ou non j'organisais des exfiltrations. J'ai cru que ma dernière heure avait sonné. Et soudain j'ai subi une illumination. J'ai compris qu'il savait tout. C'était clair. Donc inutile de mentir. En réalité, il ne voulait pas savoir si je le faisais, mais comment je ferai pour m'en tirer. C'était son jeu… Même sa colère était feinte. Alors je lui ai dit… que oui, je le faisais. Il en a été médusé et il s'est laissé tomber dans son fauteuil. — Vous êtes sérieux ? m'a-t-il demandé, faussement surpris. Je lui ai dit :  — Absolutamente Caudillo. Mais pas ceux qui ont tué. Juste des opposants.
Nous sommes restés pendant une minute, tous deux sans rien dire. J'étais éberlué de mes propres paroles. Je pensais que la trappe allait s'ouvrir sous mes pieds. Et tout à coup, posant ses deux mains bien à plat sur le bureau, — il avait les mains très soignées — il me demande calmement de sa petite voix aiguë :
— Et vous les expédiez où, ces vermines d'anarchistes ? Des communistes, j'imagine ? Qu'en faites-vous ? Expliquez-moi. 
Il feignait ne rien savoir, la crapule.
Je lui ai répondu : — Ils partent pour Cuba… Et là, il s'est esclaffé, et m'a dit : "Alors je les offre à Fidel, ils s'entendront bien entre canailles !"
Je dois dire que… bon, Fidel Castro et moi… vous ne le croirez pas, mais nous avions les meilleures relations. Il descendait d'une famille de galiciens qui avait émigré à Cuba… alors entre galiciens, on trouve toujours un terrain d'entente là où la politique nous expédie dans les abîmes. Alors mes exfiltrés ou expulsés, appelez ça comme vous voulez, ils partaient à Cuba. Et plus d'un !
— Si j'ai bien compris, c'est le fait d'avoir dit la vérité au Caudillo qui vous a sauvé la mise ?
—  Il ne m'aurait jamais pardonné si j'avais tenté de le berner. Il voulait voir si je lui dirais la vérité d'une chose qu'il savait parfaitement. Après cela, comme il ne m'avait rien interdit formellement, j'ai continué, via l'Angleterre où ils arrivaient par bateau de pêche depuis Santiago de Compostella. Plusieurs partaient aussi depuis Garrucha, pour la Yougoslavie afin de rejoindre la Roumanie… qui leur semblait le paradis sur terre.

Et pendant ce temps, le "vieux", qui évidemment le savait, trouvait cela amusant. Pour lui, ce qui comptait, c'était de se débarrasser, d'une manière ou d'une autre, de ces opposants. Et qu'ils soient en exil, cela l'arrangeait. Il était cynique… Il me laissait faire ! C'était un vieux renard, car ainsi il me mettait une épée de Damoclès sur la tête. J'ai tremblé pendant des années, à tout moment il pouvait m'enfoncer. Et puis un jour j'ai décidé que la peur, c'était terminé. Qu'il fasse ce qu'il veut, et moi aussi. Alors pendant des années, avec des amis, j'ai collaboré à son système tout en essayant non de le torpiller, car c'était impossible, mais en essayant de préparer la suite. Je n'ai pas réussi autant que je le voulais. J'ai même échoué sur de nombreux points. Notamment à propos de l'exécution de certains détenus… J'étais devenu ministre du tourisme, il était impossible de s'opposer, de jouer les héros… Quant à s'exiler, je m'y refusais. J'étais impliqué dans celui des autres, mais moi…

— On vous a reproché la compromission…

 — J'ai accepté. Alors que ma tentation viscérale aurait été de m'exiler, d'abandonner… Mes valises étaient prêtes, à la moindre alerte. Mon obsession, qui m'a fait rester, c'était de préparer l'après-Franco. Nous l'incitions, avec Torcuato Fernández Miranda, à organiser le plébiscite populaire pour que la succession soit donnée à Juan Carlos. Il l'a fait. Il fallait lutter pour l'avenir et non pas affronter la vieille momie. C'est une chose que les opposants n'ont pas comprise. Leur lutte était une folie. Il ne fallait pas se tromper de combat. Il fallait savoir attendre… attendre encore et encore… Le "vieux" semblait éternel… Mais le jeune roi était bien la carte maîtresse à jouer.

— Eh bien ! Quelle histoire ! Et vous êtes toujours là… parce que vous avez vaincu la peur… et l'idée de l'abandon. Ce serait là votre Allié ?
— Cela m'a coûté. D'être considéré par certains comme un monstre. Le plus facile eût été l'exil. Je suis resté pour incurver, ouvrir progressivement, libéraliser par l'économie, tout en restant dans les limites que le système pouvait tolérer. Je grappillais sur les marges. Il fallait grignoter… Tenir le coup… Parfois même tenir des propos ineptes, pour aller dans le sens du consensus. Ce qui comptait, c'était de préparer inlassablement et réussir l'alternance démocratique qui viendrait inévitablement un jour. Et régulièrement, la chape retombait…
— Vous avez réussi…
— L'acteur principal a été le Temps. Donner du temps au temps. C'est un vieux proverbe espagnol… que votre président Mitterrand s'est attribué. Et aujourd'hui nous sommes à nouveau devant une nouvelle échéance. La page de Franco a été tournée. 40 ans au pouvoir, vous vous rendez compte ? La démocratie est installée. L'Europe est à notre porte et elle va s'ouvrir dans quelques mois. Nous allons vers l'inconnu. Cela me tracasse jour et nuit…

8 Les nations ont elles aussi leur Allié

— …L'Europe, Señora, pour l'Espagne, c'est le Nord…
— Allons ! Vous savez bien que l'Espagne n'a peur de rien. Sauf d'elle-même…
— Oui, elle a ses démons… Et je les connais.
— C'est que les pays ont eux aussi leur allié. Toute entité vivante a un allié.
— Et quel serait celui de l'Espagne ?
— Ecoutez, don Manuel, le grand héros culturel de l'Espagne, c'est Don Quichotte. Il incarne la vocation du territoire, de votre culture, de votre langue. Il est le patron du pays. Il habite les âmes espagnoles. Vous en êtes. Alors l'Allié de Don Quichotte, ce sont toutes les forces contraires s'opposant à sa victoire. Ce sont les moulins qu'il affronte. Les archers de l'Inquisition. La pétrification de la pensée. C'est la pensée figée. L'Allié de l'Espagne, c'est Samson Carrasco. Il est certes érudit, mais aussi méchant, traitre, perfide. Il défie le Quichotte en un combat déloyal. Il se fait passer pour un chevalier alors qu'il ne l'est pas, n'ayant pas été adoubé. Dès que l'Espagne renonce au Quichotte, Carrasco prend le pouvoir. Quand elle épouse la pensée rationnelle de Samson Carrasco et porte son faux-nez. Elle va entrer dans l'Europe. C'est un signe immense. L'énergie du Quichotte va donc passer les Pyrénées l'année prochaine et son énergie va sortir et se répandre… droit sur la France. Pour moi, cela signifie…
 (silence)
— Que vous quitterez l'Espagne, Señora, pour le suivre ?
(silence)
— Mon Allié me le confirme depuis des semaines…
— Donc il vous parle ? Mais comment ?
— Quand on a expérimenté l'Allié, et vaincu, alors il se retourne et devient le compagnon de route. Alors il vous expose les situations du réel, puisqu'il est lui-même un archétype de "Gauche", issu du "Qui-Fait". Étant un élément du "Qui-Fait", il sait tout de ce qui se trame dans ce domaine. Le "Qui-Fait" est son royaume : il est informé de tout. Quand votre force contraire devient votre Allié, chaque fois que vous l'éprouvez, il vous donne une indication sur une situation de votre vie. L'Allié est le sentiment que vous éprouvez, c'est la chose elle-même, et le nom de la chose. Vous n'avez qu'un seul Allié principal, mais il se manifeste sous quantité de formes toutes liées à son être. Cela peut également se produire dans une scène de la vie que vous observez. Votre allié est "dehors", il n'est pas que sur vous : il vous parle, et pour cela il utilise tout autour de lui. Peut-être, ce jour-là, le général Franco était l'image de votre Allié. Si vous aviez tenté de tricher avec lui, il vous en aurait cuit. Il vous a testé. Pour voir si vous auriez peur. Vous l'avez maîtrisé en vous maîtrisant vous-même, en n'ayant pas peur et en disant la vérité. Alors il vous a respecté. C'était votre combat. Un combat à votre hauteur.
— Vous dites: "une image de l'Allié". Mais qu'est-ce que l'Allié lui-même ? Est-ce un être, une forme spéciale ? Peut-on le saisir ?
— C'est une entité. Elle peut revêtir la forme d'une personne. L'Allié a la faculté de dire ce qui se passe. Sans lui, comment savoir où vont les choses de notre sort ? Mais pour le voir, il faut exercer… l'art de "voir". Avec les deux yeux…

Suite de l'article sur l'Allié dans quelques jours.
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Suite et fin de la série sur l'Allié dans le prochain Blog 5/5.

4 commentaires:

François-Marie Michaut a dit…

Votre avis, les visiteurs de ce blog pas comme les autres.
J'ai cru comprendre que l'Allié ( peu importe sa nature "matérielle" et qu'il soit un ou non) est un as du "qui fait". C'est à dire de droite.
Grace à lui, je peux monter sur l'alphabet jusqu'en tzadé, donc j'en ai besoin. Il m'aide à progresser dans le "faire".
Mais, arrivé là, son objectif à lui, c'est le tzadé final. Alors il m'empêche d'aller à gauche ( coté " Qui Sait") pour aller en qof puis au dessus, peut-être. C'est bien là, la fameuse lutte ?
J'attends avec impatience vos avis. Alors mouillez-vous. Vous en serez le premier bénéficiaire, parce qu'écrire ça oblige à clarifier sa pensée.

Lefouilleur a dit…

Google dit :
Résultat de recherche d'images pour "mécène"
Caius Cilnius Mæcenas, dont le nom francisé est Mécène (vers 70 av. J.-C., 8 av. J.-C.), est un homme politique romain et un proche de l'empereur Auguste, célèbre pour avoir consacré sa fortune et son influence à promouvoir les arts et les lettres.

Cap-Horn a dit…

Sur cet épisode je relève quelques phrases ou quelques mots très marquants :
"Seul à seul", la rencontre est un face-à-face, il me semble que cela est un point remarquable... .
"Il ne m'a posé qu'une question. Est-ce que oui ou non...", cette question amène celui qui l'entend à une profondeur essentielle. C'est le fondement, le principe même des hommes de Volonté et cette volonté est d'essence divine. Elle agit par détermination et engagement profond pour la Vie. Dans cet instant, sa réponse se trouve dans une vérité que je qualifierai d'essentielle et hors du temps ( 1 minute sans rien dire...).
Il se retrouve dans une "illumination ", la clarté qu'il évoque n'est possible que parce qu'il est devenu vérité, alors à ce moment là, il sait que ce rusé sait tout et il comprend son jeu.
En disant oui dans sa puissance, l'autre " s'est laissé tombé dans son fauteuil ",il faut sentir cela...
Puissance confirmée dans "Absolumente "...Il faut sentir ce redoublement...
Voilà une vraie rencontre,ce général pouvait effectivement ce jour-là être symboliquement représentatif d'une instance bien présente de son intériorité.
Pour les explications données...,tout est Bon.

François-Marie Michaut a dit…

Cap-hornier de service
Bien aimé votre dernier commentaire. Bravo pour ces remarques enrichisssantes.
Mais, Domino vient de publier le 5/5. Vais le lire avec... gourmandise.
On reprend ensuite